ETVOUS
QUEN
PENSEZVOUS?
Source : lexpress.fr en ligne le 18 juin
D'un Château l'autre
Par Jérôme Dupuis,
Longtemps, le chef de l'Etat n'a évoqué qu'un seul grand écrivain : Louis-Ferdinand Céline. Pas le moins sulfureux...
"On peut aimer Céline sans être antisémite, comme on peut aimer Proust sans être homosexuel !" glissait Nicolas Sarkozy à propos de Céline, son "écrivain préféré", à quelques journalistes qui l'accompagnaient en Inde, en 2008. Une sentence ferme visant à justifier son goût pour un auteur qui, il le sait, sent le soufre. Un goût plutôt courageux pour un président - on se souvient que Pompidou préférait réciter du Saint-John Perse, Valéry Giscard d'Estaing relire Maupassant et François Mitterrand se perdre dans les méandres de Chardonne...
En 1996, déjà, Sarkozy confiait à L'Officiel Hommes : "Tenez, prenez Céline. Voilà un homme qui n'était qu'un médiocre médecin de banlieue. Un jour, il écrit Voyage au bout de la nuit. Cela me fascine ! Cette action qui consiste à donner plus, ce ressort qui vous pousse à vous surpasser, à créer et agir par passion. Tout est là !" Toute ressemblance avec...
Mais le président, à qui ses collaborateurs ont offert un autographe de l'écrivain pour son 53e anniversaire, en janvier 2008, ne se contente pas de célébrer les mérites du trop fameux Voyage. Plus audacieux, il lui est aussi arrivé de confesser son penchant pour Nord, un roman paru en 1960 et considéré par les céliniens comme le sommet de l'oeuvre avec D'un château l'autre. Un penchant politiquement très incorrect, car, entre Voyage et Nord, Céline a signé des pamphlets antisémites (dont Bagatelles pour un massacre) et s'est réfugié dans l'Allemagne nazie à la fin de la guerre. Et Nord contient nombre de passages où affleure, sous une plume géniale, un racisme à peine voilé.
Il est une autre personne à revendiquer de longue date son amour pour Céline : Carla Bruni. Avant de rencontrer son futur époux, elle avait même demandé à un ami écrivain de la présenter à Lucette Destouches, l'épouse de l'écrivain qui, à 96 ans, vit toujours dans la maison de Meudon où le romancier a fini sa vie, en 1961 (1). Carla est donc "montée" route des Gardes, pour un mémorable moment. "A la fin, Lucette et Carla sont tombées dans les bras l'une de l'autre", se souvient un convive.
Mais pourquoi lui et pas un autre ? Il est une phrase du romancier maudit que Nicolas Sarkozy cite régulièrement : "Le style, c'est final." Elle permet peut-être de deviner ce qui attire tant le président chez l'auteur de Voyage : une méfiance viscérale envers les grandes idées générales et une célébration du "style" personnel. Tous deux se sont sentis des parias par rapport à leur milieu, l'un pour antisémitisme, l'autre pour "balladurisme" (c'est moins grave...). L'un a vécu l'exil au Danemark, l'autre une traversée du désert en Chiraquie. L'orgueilleux Céline s'était fixé pour but de rendre tous les autres écrivains contemporains "illisibles". Un peu comme Nicolas Sarkozy avec ses concurrents politiques ?
(1) Lire, à ce propos, le magnifique Céline à Meudon (Ramsay), de David Alliot.
Revue de presse, panorama du monde, blog de lutte contre l'antisémitisme et le racisme, ouvert au dialogue, l'autre image d'Israël, la culture juive à la rencontre de toutes les cultures, le monde juif tel qu'il est.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire